Texte de Christiane Laforge
lu à la présentation de Jean-Paul Lapointe
au gala de l’Ordre du Bleuet le 2 juin 2018
Surnommé « peintre de la lumière », Jean-Paul Lapointe doit à la saison de sa naissance ce trait caractéristique de sa personnalité : une joie de vivre jamais démentie. Dans ses veines bouillonne un sang dont les forces vives jaillissent comme le printemps qui s’apprête à devenir l’été. Il en porte déjà les couleurs en ce 7 juin 1935, quand Claudia Larouche et Joseph-Hector Lapointe ouvrent les bras à ce fils qui grandira avec ses trois frères et sept sœurs sur la ferme de Saint-Charles-de-Bourget, autrefois nommé Saint-Charles-Borromée.
Très jeune, Jean-Paul aime flâner devant la vitrine des galeries d’art, rêvant de s’inscrire aux Beaux-Arts. La situation économique de la famille le contraint à plus de pragmatisme. Il étudie pour devenir infirmier spécialisé en orthopédie et, en 1953, diplôme en mains, travaille à l’hôpital de Chicoutimi. En 1964, il troque son sarrau contre le veston d’un représentant en instruments chirurgicaux d’abord, puis en vêtements de sport pour homme et, finalement, en pièces industrielles pour Curtis industries.
Sa nature sociable et ses talents de communicateur sont mis à profit dans sa carrière, mais les routes qu’il sillonne le conduiront à des haltes cruelles. Marié à Lucille Langevin depuis1957, il subit un triple deuil : celui de son fils Éric mort d’un anévrisme à la naissance, celui de sa petite Sophie fauchée à 7 ans par une voiture et celui de sa compagne décédée en 1971. Il reste seul avec son fils Alain et affronte ses peines à grands traits noirs sur le papier à dessin. Jean-Paul n’a jamais renoncé à son rêve. Autodidacte fasciné par les œuvres du Groupe des Sept, la peinture va lui permettre de retrouver les couleurs de sa vie.
En 1973, il épouse Rina Simard, veuve elle aussi et mère d’un petit garçon, Érik. C’est le retour des moments fastes. Quand il n’est pas sur les routes, le peintre fait surface et brosse les paysages devenus familiers : le Saguenay–Lac-Saint-Jean, Charlevoix, la Côte-Nord. Les toiles se multiplient, assez pour tenir une première exposition solo dans le Hall de l’Hôtel de ville d’Arvida. Sa peinture témoigne de ses plaisirs. En traits enthousiastes, il anime la beauté des paysages, l’ivresse des vents gonflant les voiles de son voilier gitant sur le Fjord et chevauchant les vagues du Piékouagami ou, encore, le vertige des monts qu’il dévale en ski et en capture les effets d’ombre et de lumière.
Une telle exubérance ne laisse pas indifférent. À peine sorties de l’atelier que les toiles de Lapointe séduisent les jurés. À partir de 1974, les honneurs s’accumulent. Il remporte le 4e prix au Festival international de peinture de Nice, deux fois le Grand prix du Collectionneur à Sherbrooke, trois fois le 1er Prix à la Rencontres des arts de Saint-Jean-sur-Richelieu et plusieurs autres au Salon de la figuration de l’Institut des arts figuratifs. Deux trophées portent son nom : celui du Symposium de peinture de Danville (Victoriaville) depuis 2004 et celui de la régate « Voiles de l'Amitié Québec-France » depuis 2005.
À 45 ans, Jean-Paul Lapointe choisi de se consacrer essentiellement à la peinture, menant sa carrière sur plusieurs continents, participant à des expositions en solo et en groupe à Québec, en Ontario, aux États-Unis, en France, en Suisse, en Belgique et au Mexique. Sans compter de nombreux symposiums dont il a été président d’honneur, incluant le Symposium international de peintures challenge Saguenay qu’il a fondé en 2000. Aujourd’hui nommé Symposium international de peinture et sculpture du Saguenay–Lac-Saint-Jean, cet événement attire des artistes de différents pays sur la zone portuaire de Chicoutimi. Le Prix Jean-Paul-Lapointe y est décerné par un jury à l’artiste le plus méritant pour l’ensemble de son œuvre. Fervent défenseur de l’art figuratif et des artistes du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Lapointe est présent à toutes sollicitations qui défendent cette cause. Il est parmi les peintres de la première heure lors de la fondation des Artistes de la Maestria, créée par Thérèse Fournier et Micheline Hamel. Il en sera le président pendant 6 ans, contribuant à faire rayonner les artistes de la région ici et hors frontières.
Ses œuvres font la page couverture de publications de prestige et figurent en bonne place parmi de grandes collections. Au moins une douzaine de livres présentent l’œuvre de Lapointe dont un lui est entièrement consacré : Jean-Paul Lapointe — Jeux de Lumière et de rêve par Jacques de Roussan, dans la collection Panorama de Roussan Éditeur. Gilles Vigneault, qui en signe la préface, raconte comment le galeriste Gérard Zannetin l’a invité à découvrir les toiles de Jean-Paul : « Le père Zannetin éprouvait pour ses découvertes un enthousiasme chaque fois aussi neuf qu’exubérant. Tu verras Gilles que celui-ci va aller loin. J’entrai. […] Je crois que je viens de rencontrer quelqu’un que j’aurai plaisir à connaître… C’est frais, c’est neuf et en même temps comme serein… C’est comme d’entendre jouer, par un violoneux raffiné, une vieille gigue que l’on sait par cœur et qu’on redécouvre d’une façon qui donne le goût de danser. »
Ce goût de danser, cette joie de vivre, Jean-Paul les dégage dans tout ce qu’il est. Cette lumière qui caractérise sa peinture n’éclaire pas que nos yeux. Elle surgit aussi de la contribution généreuse de l’artiste à de nombreuses causes caritatives : la Fondation Rêve d’enfant, la Maison Notre-Dame du Saguenay, la Fondation de ma vie, la Croix rouge, Pali-Aide, la Sclérose en plaques et Leucan.
En novembre 2017, le musée régional La Pulperie de Chicoutimi inaugure une exposition rétrospective de cet artiste sur le thème Lumière et intensité. Une exposition bien conçue, racontant l’homme et son œuvre, retraçant un parcours émouvant où joies et peines confondues explosent en couleurs.
Jean-Paul Lapointe s'est imposé dans le milieu artistique par son intégrité, sa passion indéfectible et le respect qu'il manifestait à l'égard des autres artistes. Grand rassembleur, sachant provoquer des liens d'amitié par sa présence, sa générosité, son grand rire contagieux, il a ce don inné de transformer les divergences en convergences.
En 2004, lorsque la maladie a fracassé sa joie de vivre, il a brandi son pinceau, arme dérisoire face à la mort annoncée peut-être, mais formidable défi lancé au temps qui reste, continuant à peindre et à participer aux évènements artistiques. Même en décembre 2006, dans sa chambre d’hôpital, entouré de son chevalet, ses carnets de croquis, son grand cartable de cuir, l’artiste n’a jamais renoncé. Lors de l’adieu public, en janvier 2007, devant tant d’amis rassemblés à la Cathédrale de Chicoutimi, que dire, sinon redire mes propres mots : « Il t'a suffi de puiser sur ta palette toutes les couleurs des jours et des nuits pour brosser les paysages d'un pays lumineux que ton grand rire éclairait plus encore. »
Notre désir, ce soir, c’est que cette lumière ne s’éteigne pas.
Jean-Paul Lapointe
Peintre, fondateur du Symposium international de peinture et sculpture du SLSJ
pour son dévouement exceptionnel au rayonnement des arts visuels
fut reçu à titre posthume
Membre de l’Ordre du Bleuet